jeudi 24 août 2023

Moi, je ne m'en fous pas : la toxicité des demi-vérités sur la psyché humaine

Réponse à la vidéo "Et tout le monde s'en fout #3 Les émotions" sur la chaîne youtube de Raphaël Boutillier.

Y a-t-il pire que le mensonge ? Oui ! La demi-vérité, et surtout celle qu'on vend pour l'entière vérité, la vision partielle qu'on fait passer pour une vision globale et pour LA solution. Cette vidéo est tellement truffée de demi-vérités qu'il y aurait tant à dire. Bien qu'elles contiennent un noyau de vérité, les demi-vérités n'en demeurent pas moins fausses. Elles sont comparables à un calcul d'une centaine d'opérations. Si je fais une erreur à la 5e opération, même si je continue de calculer juste les 95 opérations suivantes, le résultat en sera néanmoins faux. Par conséquent, les démi-vérités sont les plus mal-aisées à débusquer et à corriger, car leur noyau de vérité commande une multitude de différenciations et invite à creuser en profondeur. Or, c'est justement cela qui déplaît à l'esprit moderne friand de solutions rapides prêtes-à-porter. Il adore la superficialité et abhorre la longueur de la minutie et du détail. Cela est d'autant plus vrai pour les solutions en matière de bien-être et de développement personnel dont l'essort récent est proportionnel au mal-être grandissant de la population.


Ce dont parle Raphaël dans cette vidéo, ne sont justement rien d'autre que des palliatifs, des moyens temporaires et expédients pour pallier à un mal-être ponctuel, mais rien ici n'agit sur les véritables causes. En effet, si le bonheur humain pouvait être aussi facile, les maîtres spirituels ne se seraient pas embêtés à constamment revenir sur ce monde et à donner autant d'enseignements et autant de pratiques différentes pour guérir du mal-être. Carl Gustav Jung aurait pu s'épargner ses tribulations et Alice Miller aurait eu sa solution toute faite face à la pédagogie noire. Non, ce que Raphaël propose ne peut-être qu'un pansement. Cela dit, le Bouddha lui aussi a donné des palliatifs. Par contre, il les a clairement identifiés comme tels et ne les a pas présentés comme la solution ultime. Un exemple d'un tel palliatif serait la méditation du calme mental ou certaines pratiques sur la gestion des émotions, bien que nous sachions désormais que plus nous essayons de "gérer" ou de "maîtriser" nos émotions, plus nous entrons dans la cuisine du diable : https://www.youtube.com/watch?v=X1xlabZZ3Fg

Nous savons au moins depuis Jung, que les émotions ne doivent pas être gérées, mais accueillies, vues, reconnues et comprises dans leur manifestation comme dans leur nature profonde. Mais pour cela, la première erreur à évacuer est celle qui consiste à croire que c'est le cerveau qui "produit" les émotions, comme affirmé ici. (Pour la suite je précise qu'il va sans dire que certaines substances qui modifient la chimie de notre cerveau induisent des émotions d'euphorie et de joie. Lorque je parle de "joie" et de "bonheur" dans ce qui suit, je ne fais pas référence à des sensations de joie, mais à des sentiments de joie et de bonheur qui peuvent exister même en présence de sensations désagréables. Je ne suis donc pas en train de nier qu'on peut influer sur notre ressenti, sur notre cerveau via la matière, mais il faut faire une distinction nette entre une sensation de joie et un sentiment de joie. Pour schématiser : l'une vient du corps, l'autre de l'esprit. Si l'esprit est en joie, par répercussion, le corps aura la sensation de joie, mais inversement, il est possible d'avoir une sensation de joie (induite par exemple par une substance du genre chocolat, café, cigarette, prozac ou même drogue), tout en étant malheureux au fond.)

Cette vidéo est encore un exemple majestueux de l'égarement dans laquelle se trouve la science matérialiste : elle croit toujours qu'elle va pouvoir expliquer la vie en comprenant la matière. Comme si en comprenant le cerveau et les neurones, les organes et les molécules, on pouvait expliquer l'expérience humaine, c'est tellement réducteur que c'en est presque ridicule. Ce que la science refuse de voir, c'est que l'être humain participe de 5 plans d'existence dont les 2 premiers seulement sont matériels : le plan physique, le plan énergétique, le plan astral/émotionnel, le plan mental et le plan spirituel. Les 3 derniers plans ne sont pas matériels et n'ont rien avoir ni avec le cerveau, ni avec les neurones. Or, c'est de là que viennent nos émotions !

Au moins depuis Mario Beauregard et surtout depuis Francisco Varela, nous savons que ce n'est pas le cerveau qui crée les émotions, ni les pensées d'ailleurs. Il ne fait que les capter. C'est une radio hyper-perfectionnée avec une possibilité de retour.  Affirmer que le cerveau produit magiquement les émotions revient aussi à faire un pied de nez à tous les enseignements spirituels du monde entier et de toutes les époques. Ainsi, la formule qu'on entend dans la vidéo : "Telle émotion, c'est ton cerveau qui te dit ceci ou cela" est tellement loin de la réalité et de la psyché humaine, qu'elle ferme toutes les portes d'un véritable bien-être.

En effet, tout réduire au seul cerveau n'est pas la seule erreur faite ici. Une autre grande erreur consiste à mettre sur un même plan la tristesse de celui qui ne peut plus manger son chocolat préféré parce qu'ils en ont arrêté la production avec la tristesse de celle qui a été larguée par son mari à l'accouchement de leur premier bébé. Dans le cas du chocolat, pourquoi ne pas recourir au genre de moyens proposés ici.  Mais ces méthodes sont totalement impuissantes face à une tristesse ou une colère ou une anxiété issues de la deuxième situation qui laisse généralement des traces profondes, une plaie qui ne se ferme pas tant qu'on en a pris soin. Les émotions liées à ce genre d'événements  se reconnaissent au fait qu'elles refont tout le temps surface, dans des situations certes variées mais qui ont toutes une similitude, parce que l'émotion provient d'un choc, d'une blessure, d'un traumatisme, d'une expérience non-digérée et refoulée. Toute situation un tant soit peu similaire fait alors remonter l'émotion non-digérée à notre conscience. 

Il arrive un moment de notre vie, ou le refoulement ne nous protège plus. L'émotion a besoin d'être vue pour guérir la plaie qui la sous-tend. Essayer de "gérer" ce genre d'émotions avec les méthodes de cette vidéo frôle le suicide psychologique. L'émotion a effectivement quelque chose à nous dire, mais ce n'est pas notre cerveau qui nous parle, là ! Ce sont les strates bien plus profondes et totalement immatérielles de nos plans astraux, mentaux et spirituels, ce que Jung appelait le subconscient. Le sur-moi en fait également partie . Une émotion est là pour nous dire quelque chose, certes, mais encore faut-il l'écouter, plutôt que d'essayer de revenir coûte que coûte à une joie fabriquée artificiellement. Notre émotion nous raconte notre propre histoire, et pour cela elle veut d'abord être vue et reconnue, ensuite il faut voir quelle histoire cette émotion raconte. 

Appliquer à ce genre de vécu humain les méthodes préconisées ici, c'est une peu comme ne pas regarder une grosse crotte de chien sur un beau gazon. On peut se dire : si je ne la regarde pas ou si je la couvre pour la cacher et que je me concentre sur le beau gazon, je vais être heureux. Et en effet, ça marche... un certain temps, jusqu'à ce qu'elle commence à puer et à embaumer les environs de ce beau gazon. C'est généralement à ce moment-là que notre corps commence à sommatiser et à se mettre à nous raconter la même histoire que l'émotion ("Notre corps ne ment jamais" d'Alice Miller explique à merveille ce mécanisme divin.) Mais tant que nous fuyons ce que l'émotion, et maintenant notre corps veulent nous dire, notre cas ne peut s'améliorer et nous écarte de plus en plus d'un véritable bien-être. Pour rester dans le même exemple de la crotte et le gazon : il existe un autre cas de figure où notre plan d'ignorer la crotte ne fonctionne pas. C'est lorsque notre partenaire, compagne ou conjoint marche sur la crotte que nous avons joliment occultée dans notre tête. Il marche dedans et nous l'étale sur tout le beau gazon et dans la maison : c'est souvent ce qui se passe dans un couple qui s'aime : l'un est le miroir des blessures de l'autre. Sarah Sériévic nous montre à quel point ce mécanisme est aussi divin, puisqu'il nous permet justement de voir et de guérir notre mal-être. (Cf. son livre "Aimer sans masque")

Mais pour notre cher Raphaël, la solution ce serait donc de juste "faire une action pour revenir à notre émotion de base"... Si seulement ça marchait vraiment, le monde serait déjà un paradis rempli de personnes joyeuses. Reprenons sa proposition : il suffirait donc d'accorder du temps à la joie, et ce sera le bonheur." Quelle jolie demi-vérité, quel joli gloubiboulga de ramassis d'enseignements spirituels résumés au point de devenir totalement inopérants. Lorsqu'il dit : "Le bonheur c'est le temps que tu accordes à ta joie." il s'emmêle dans ses propres pinceaux puisqu'il affirme par ailleurs que le cerveau tenterait de créer la joie en permanence car ce serait son émotion de base. Si on admet ce constat, alors pourquoi accorder du temps à la joie ? Elle devrait être présente naturellement, sans même qu'on ait besoin d'y accorder du temps ou une quelconque énergie de conscience. Revenir vers elle devrait être la chose la plus naturelle et presqu'automatique ! Mais est-ce vraiment le cas ? Et d'ailleurs qu'est-ce que signifie concrètement ce "accorder du temps à ta joie". Est-ce que cela consiste à penser en permanence "Je suis joyeux", à faire une espèce d'autoprogrammation à la Coué ? Si la joie est notre émotion de base, alors nous n'avons justement plus besoin d'y accorder du temps, elle est simplement là et nous accompagne.

Mais apparemment, le ciel n'est pas si bleu que cela, puisqu'il y a toujours ces foutues émotions qui font obstacle à cette joie. La vidéo en nomme trois : la tristesse, la colère et la peur. C'est néanmoins étrange : d'un côté le cerveau créerait toujours de la joie, mais en même temps c'est lui aussi qui produit les émotions qui font obstacle à la joie....??? Mis à part cette contradiction dans sa logique, force est de constater qu'effectivement quelque chose fait obstacle à la joie. Et quand quelque chose fait obstacle à la joie, la joie ne s'élève pas. Alors comment accorder du temps à la joie, puisqu'à l'instant T elle ne s'élève pas ? C'est totalement contradictoire. Le seul choix qu'il nous reste alors pour revenir à ce qui n'est pas là, c'est de le créer artificiellement ? Essayer de créer artificiellement la joie en la retrouvant dans ses souvenirs de joie par exemple... Pourquoi pas en ce qui concerne les émotoins fugaces du genre : on m'a fait une queue de poisson en voitre. Mais un NON franc et tranché en ce qui concerne les émotions qui nous racontent notre histoire. Ce serait bafouer toutes les lois de la psyché humaine.

Il faudrait reformuler cette maxime en : 

"Le bonheur c'est le temps que tu accordes à lever les obstacles à ta joie."

D'ailleurs le Bouddha ne parle que de ça. Il n'a jamais parlé du bonheur ou de la nature de la joie, il a parlé encore et encore de ce qui fait obstacle, il nous enjoint à connaître les ennemis intérieurs de notre joie naturellement présente. Bien sûr, elle n'est pas naturellement présente dans notre cerveau, elle est la nature même de notre esprit, de l'esprit, de l'Esprit sain(t), de notre coeur. 

Cette vidéo encourage surtout à ne pas vraiment regarder en profondeur en soi-même, à maintenir une joie somme toute très superficielle et aussi un peu artificielle. C'est très séduisant, mais totalement inefficace pour toucher une joie véritable.

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